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La vie résiduelle
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03102022
La vie résiduelle
« Et quand l’ombre s’affaiblit et disparait, la lumière qui s’attarde devient l’ombre d’une autre lumière » Khalil Gibran
« Après les ténèbres vient la lumière » Proverbe afghan (1926)
Dans le couloir sombre, tu marmonnes des inquiétudes pour ailleurs.
Tu pousses la porte de ta chambre. Une clarté voyageuse s’y engouffre.
Les mots s’infiltrent jusqu’à la fenêtre que tu ouvres aussi.
Aspirés, les messagers s’en vont,
là où le silence règne,
là où l’âme humaine se désespère.
Là-bas, à l’Orient de nous, au pays de l’Hindu Kush !
Les mots s’en vont cajoler les joues des enfants mourants.
À leurs côtés, des visages graves et désassemblés
de parents défaits, déchirés, abattus, impuissants.
Frêles fleurs déjà fanées, les corps des petits s’abiment de manque de tout.
Les âmes des grands se recroquevillent. L’amour n’arrive plus à faire face.
La tendresse demeure. Ultime bienveillance humaine au cœur de l’innommable.
Le silence s’est installé. Une nuit ténébreuse a envahi le ciel et la terre.
Au fil des jours, des heures et des secondes, ce silence
est devenu une chape de plomb à l’atmosphère irrespirable.
Cette odeur de mort qui ronge encore et toujours les demi-vivants.
Le cœur hoquette. Le silence à un poids. Le poids de l’histoire. Le poids des hommes.
Au tréfonds de la mémoire, les chevaux frappent le sol. Ils cherchent la vie, eux aussi.
Réclament un grand bouzkachi flamboyant… mais les cavaliers sont absents !
La respiration des enfants est si faible. Filets de vie chancelants.
La misère frappe indistinctement. Les forces vives sont décimées.
En ce royaume minéral, les femmes y sont redevenues invisibles.
Burqas bleu azur elles se faufilent tant bien que mal dehors. Si peu !
Dépossédées, par des « cœurs de pierre » à la rhétorique passéiste.
« Une femme n’est bien qu’à la maison ou au tombeau *».
Le temps n’avance plus. On dirait qu’il a atteint un point de non-retour.
Une impasse innommée. Tragique. Infiniment longue. Sans fin.
Fanatisme et fureur des hommes. Les femmes meurtries désapprennent à être « Elle ».
« Quand vient la nuit, la peur se tient à la porte, et quand vient le jour, elle se tient sur les collines *»
Ailleurs dans l’orbe du monde, des atermoiements feutrés.
La raison d’État s’arc-boute de part et d’autre.
Joutes insensées…Quels effets sur les obscurantismes ?
L’avenir est obéré par la jeunesse emportée.
Ici les enfants s’en vont les uns après les autres.
Les mots linceuls s’enroulent autour d’eux.
La mort s’incruste partout dans l’immensité du pays
et les appels à la prière pacifient les corps encore vivants.
Ce soir, il y a beaucoup trop d’étoiles dans le ciel. Effulgence de l’indicible.
Encombrement funeste aux aurores rouge sang.
Et les femmes exclues de tout ou presque veillent en silence encore et encore.
Aménorrhées d’épuisement, mères et filles s’efforcent d’envisager un avenir.
Les cœurs n’absorbent plus la douleur, inextinguible. Incommunicable.
La vie perd jusqu’à son sens, sa boussole. Même la mort est débordée.
Dieu, où es-tu ?
Ces enfants, ces femmes, ces hommes, tes frères, tes sœurs, qu’ont-ils fait pour mériter cela ?
Poètes, où êtes-vous ?
« Quand le poète se tait, le canon parle* ».
Devant ta fenêtre, face au jardin coloré,
ta tête devient un champ de mines.
Ton esprit renâcle devant tant de cynisme.
Mais tu veux bien que des mots te parlent.
Qu’ils te disent des choses oubliées, dans ces contrées lointaines.
L’inconnaissance et l’impermanence et plus encore.
Tu veux bien entendre, écouter autant qu’il le faut.
Cela fait si longtemps que tu survis au fond de toi quand tu penses à eux,
à cette vie résiduelle choisie par les puissants de ce monde.
Tu te joins à leurs peines. Cela te ronge à petit feu, te déchire comme un tremblement de terre, mais pas autant qu’eux. Le muezzin implore le ciel. Voix séculaire et déchirante, longue plainte d’espérance.
« Souhaitez-vous savoir qui d’entre vous est le meilleur et qui est le pire ? Le meilleur d’entre vous est celui en qui nous espérons le bien et de qui nous ne redoutons pas le mal et le pire d’entre vous est celui en qui nous n’espérons pas le bien et de qui nous redoutons le mal » (Hadith 19 du prophète).
Ces avions « de la liberté » décollant en pleine débâcle ; vos corps agrippés du bout des doigts à la carlingue. Vrombissement désespéré, le monstre prend de l’altitude [plein Ouest] ; vos vies se détachaient puis doucement volaient de manière désordonnée. Corps sans vie gisant au sol ! Comment les oublier ?
Chapelet de rêves ensanglantés.
Déchirure de l’âme. Traces indélébiles dans la mémoire de l’humanité.
Anachronisme visuel : paysages somptueux enflammés d’ignominies pathologiques.
Encore un petit d’homme qui s’en va. C’est une fillette.
À peine le temps de prononcer les premières syllabes des premiers mots.
Presque comme une bête, elle va reposer dans un trou couvert de poussières à l’orée de quelques pins, loin des hommes, dans ce milieu rudéral. Ici, la vie se porte en terre !
Il n’y a plus assez de larmes pour dire le chagrin.
Désormais, il se fige dans un éternel cristal d’amour.
Peut-on encore implorer la rédemption ?
Dieu le sait-il seulement. Et le peut-il surtout ?
Et les hommes savent-ils encore où se trouve le chemin du bonheur ?
Demandez-le aux femmes, elles vous le dévoileront…
*Proverbes afghans 1926 / 1980 / 1962
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